Les Salons vu par Diderot

Publié le 26 Février 2020

« Bénie soit à jamais la mémoire de celui qui en instituant cette exposition publique de tableaux, excita l’émulation entre les artistes, prépara à tous les ordres de la société, et surtout aux hommes de goût, un exercice utile et une récréation douce ; recula parmi nous la décadence de la peinture de plus de cent ans peut être, et rendit la nation plus instruite et plus difficile en ce genre ».
C’est par ces mots que Denis Diderot (1713-1784) commence son compte rendu du salon de 1763. Ce philosophe connu comme le maître d’œuvre de l’Encyclopédie et l’un des principaux représentants de l’esprit des Lumières fut aussi le chroniqueur des Salons entre 1759 et 1781. Son portrait, peint par Louis-Michel Van Loo en 1767 est toujours au Louvre.

Les Salons vu par Diderot

Il s’était lié d’amitié avec l’écrivain allemand Friedrich Melchior Grimm (1723 – 1807) qui publiait « La correspondance littéraire » une gazette qui informait les princes européens sur la vie intellectuelle de Paris. Diderot qui l’accompagnait au Salon lui suggéra des idées et Grimm finit par lui confier la rédaction de la gazette.
Petit à petit Diderot se prend au jeu. Son premier compte rendu de 1759 est comme une lettre où il donne quelques indications sur les toiles accrochées au Louvre. En 1767 c’est devenu un véritable guide, trente fois plus long que le texte de 1759.
Dans cet exercice Diderot invente en quelque sorte le métier de critique d’art. Nous qui vivons dans un monde ou l’image est partout présente sur des supports imprimés ou informatiques, nous avons du mal à nous représenter la difficulté de l’exercice. Comment restituer, uniquement par écrit, un tableau ou une sculpture ? Diderot n’a que sa plume. Il doit mémoriser sur place ce qu’il voit et prendre des notes. Parfois il commence par donner les dimensions, par exemple « Tableau de 7 pieds 6 pouces de haut sur 4 de large » (soit environ 2,25 mètres sur 1,20 mètre). Il faut aussi avoir à l’esprit que Boucher, Greuze, Chardin, Van Loo, Vernet… ces artistes qui pour nous sont des « classiques » étaient pour Diderot des contemporains. Assez souvent il les critique sans ménagement et n’hésite pas à nous infliger de longues digressions ou ses penchants moralistes.
Il ne prive d’ailleurs pas de distribuer des bons et des mauvais points. Par exemple à propos de Jean-Siméon Chardin « C’est celui-ci qui est un peintre, c’est celui-ci qui est un coloriste. (…) Ô Chardin, ce n’est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broie sur ta palette ; c’est la substance même des objets, c’est l’air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau, et que tu attaches sur la toile ».
A propos de « La raie » de cet artiste, il écrit « Après que mon enfant aurait copié et recopié ce morceau, je l’occuperais sur la Raie dépouillée du même maître. L’objet est dégoûtant ; mais c’est la chair même du poisson. C’est la peau, c’est son sang (…) On m’a dit que Greuze, montant au Salon, et apercevant le morceau de Chardin que je viens de décrire, le regarda et passa en poussant un profond soupir. Cet éloge est plus court et vaut mieux que le mien ».

Les Salons vu par Diderot

Au Salon de 1765 Jean-Baptiste Greuze présente deux esquisses, « le fils ingrat » et « le fils puni », les tableaux définitifs seront peints une dizaine d’année plus tard.  A son sujet Diderot écrit « Voici votre peintre et le mien, le premier qui se soit avisé parmi nous de donner des mœurs à l’art, et d’enchaîner des évènements d’après lesquels il serait facile de faire un roman ».

Les Salons vu par Diderot
Les Salons vu par Diderot

Pour son dernier Salon, en 1781, Diderot écrit à propos du « Bélisaire demandant l'aumône » de Jacques-Louis David « Tous les jours je le vois et crois toujours le voir pour la première fois. Ce jeune homme montre de la grande manière dans la conduite de son ouvrage, il a de l’âme, ses têtes ont de l’expression sans affectation, ses attitudes sont nobles et naturelles, il dessine, il sait jeter une draperie et faire de beaux plis, sa couleur est belle sans être brillante. »

Les Salons vu par Diderot

J’ai découvert que parmi les peintres des Salons il y avait Francesco Giuseppe Casanova, le frère du célèbre libertin Giacomo Casanova dont les mémoires, publiées après sa mort, assurèrent la célébrité. Le peintre Casanova  arrive à Paris en 1751, est reçu à l’Académie de peinture en 1763. Il expose assez régulièrement au Salon à partir de cette année-là jusqu’en 1783. Diderot francise son nom et l’appelle Casanove. Nul doute que son esprit moralisateur n’aurait guère apprécié les frasques de Giacomo.
Les quelques œuvres commentées par Diderot qui illustrent cet article sont toutes au Louvre, vous pouvez donc aller les contempler. Enfin, si vous avez envie de lire l’ensemble des « Salons » de Diderot sachez que le livre est facilement disponible en collection de poche, vous y retrouverez d’ailleurs les « Regrets sur ma vieille robe de chambre », texte qui, en son temps, a fait le bonheur de nos manuels scolaires.

 

Rédigé par Louvre-passion

Publié dans #Généralités

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